[SUISSE] Le CRAN menace de boycott les magasins de la Migros après une campagne estimée « raciste »

[SUISSE] Le CRAN menace de boycott les magasins de la Migros après une campagne estimée « raciste »

Nous avons reçu du CRAN (Carrefour de Réflexion et d’Action contre le Racisme Anti-Noir) le communiqué de presse suivant :Le CRAN invite ses dirigeants à se conformer à l’impératif éthique des Fondateurs de la Migros. A défaut, le CRAN appellera au boycott des magasins de la Migros !En octobre dernier, la Migros, No 1 du commerce de détail en Suisse, a lancé une campagne de publicité autour de sa lessive Total. Déclinée en trois affiches et en un spot TV, sous le titre « Total change à nouveau les ours bruns en ours blancs » grâce à « un pouvoir nettoyant accru », la campagne se veut très explicite : « La saleté ne résiste pas à Total, le spécialiste suisse des taches tenaces. Il ménage en outre les textiles et la machine à laver. Les formules actuelles permettent de renforcer son pouvoir nettoyant (…), tout en ménageant à la fois le linge, l’environnement et le porte-monnaie » …

Dans une Lettre ouverte, un groupe de jeunes Genevois d’origine africaine, indignés, voit dans cette publicité un « parallèle explicite entre «propreté» et «blancheur», «nettoyage» et «dénaturation», «couleur brune» et «saleté». Ce parallèle est d’autant plus frappant et malvenu qu’il fait partie des ressorts autrefois utilisés par des publicitaires qui n’hésitaient pas, à coup d’affiches et de slogans, à présenter les personnes de descendance africaine comme l’incarnation même de la saleté ». Ils ne sont pas dupes : « La substitution d’une personne à un ourson de couleur brune ne saurait faire illusion tant le caractère humanisé de cet ourson auprès de l’imaginaire collectif, notamment des enfants, ne fait aucun doute. Cet ourson étant un des rares objets de la vie courante à être fréquemment doté d’un prénom («Teddy») et tenant lieu de «réel» compagnon pour nombre d’enfants, son apparition dans un support de communication fait ainsi appel à des réflexes de sympathie et d’identification, ici utilisés à des fins douteuses ». Invités au siège de la Migros à Zürich, ces jeunes militants ont certes « appris beaucoup de choses » aux cadres de la Migros rencontrés, mais ils se sont faits éconduire poliment avec une fin de non-recevoir quant à leurs revendications (excuses et arrêt de la campagne) : « Nous n’avons pas l’intention de nous excuser de quoi que ce soit, puisque cette campagne est complètement en accord avec notre code de conduite, qui est très stricte sur les questions de discrimination ». (Le Matin, 2.12.2014)

De ce qui précède,

Le CRAN tient avant tout à féliciter les jeunes militants genevois pour leur énergique action à la fois citoyenne et mémorielle. Le CRAN leur apporte son soutien ferme et étend du reste sa solidarité aux centaines de personnes qui, de toute la Suisse, ont signé la Lettre ouverte qu’ils ont initiée.

Le CRAN condamne sans réserve la campagne publicitaire de la Migros, parce qu’elle est mensongère et qu’elle repose sur la mauvaise foi de ses responsables.
La campagne est mensongère. Dans ses arguments de vente, Migros parle de «tâches sales» à soumettre au « pouvoir nettoyant accru » d’une lessive Total qui promet aussi de «ménager» le textile. Or, à la place des tâches, la pub nous montre, en lieu et place de la saleté, une COULEUR (brune) qu’on fait disparaître au profit d’une AUTRE COULEUR (blanche). Quant au textile, il est proprement dénaturé. L’ourson change d’espèce de manière irreversible : de brun intégral il devient blanc intégral. Comme l’a si bien imagé l’un des signataires de la Lettre ouverte, l’écrivain Max Lobè, dans une courte nouvelle adressée à la Migros et publiée par Le Courrier (5.11.2014), Non, mon ourson ne deviendra pas blanc, aucun enfant ne peut être content de la dénaturation de son ourson qu’il identifie à son petit copain avec qui il joue et parle, contrairement à ce que le spot de la Migros veut bien montrer. Cette dénaturation pourrait même provoquer un traumatisme chez l’enfant.
La campagne repose sur une mauvaise foi de la Migros. Selon le responsable de la communication à la Migros : « le spot suit un schéma courant que l’on voit souvent dans les publicités de lessives » (Le Matin, 2.12.2014). Il est contredit par Hervé Devanthéry, directeur de l’agence de communication Synthèse, à Lausanne, qui, sans se désolidariser, trouve la campagne : « peu claire, parce qu’il y a un double saut créatif. D’abord, il y a un changement de l’animal, sous l’effet de la lessive, puis un changement d’espèce. Le sens ne saute pas immédiatement aux yeux » (Le Matin, 2.12.2014). En dépit des dénégations de la Migros, ce double niveau ne correspond à aucun schéma courant dans les publicités de lessives (qui s’attaquent à des tâches). Il se dégage ainsi un arrière-plan qui s’avère raciste, par le lien avec les publicités coloniales qui comportaient toutes ce double niveau de changement et de dénaturation. Certes, comme se défend son porte-parole, Tristan Cerf, « un ours en peluche n’est pas un être humain! ». Mais il peut le représenter. Outre la publicité, dessins animés, B.D., contes, films, etc. fourmillent de personnages animaliers représentant des êtres humains.

Le CRAN invite les plus hauts responsables de la Migros à se ressaisir et à se conformer à l’impératif éthique de leurs Mère et Père Fondateurs, Adèle et Gottlieb Duttwieler. Grâce à eux, Migros apparaît en effet, depuis sa création, comme l’entreprise éthique par excellence : interdiction de la vente de l’alcool ou des cigarettes décrétée par ses Fondateurs, engagement dans le développement durable, le mécénat (Pourcent culturel), la citoyenneté, etc. A priori, on ne peut concevoir la Migros comme une entreprise pouvant recourir à des procédés racistes. Pourtant cette perception se trouve renforcée par son refus d’être sensible au ressenti et à l’indignation des personnes derrière les jeunes militants reçus à Zürich.
Le ressenti des victimes de représentations anti-Noires se doit d’être respecté et pris en compte. C’est incontournable. Les Noirs gardent encore aujourd’hui, de leur passé, de profondes meurtrissures, notamment au travers des représentations coloniales dévalorisantes véhiculées par la publicité. Certes, cette histoire est très largement méconnue en Europe. Mais une fois connue, on ne peut rester dans cette ignorance teintée d’un mépris non dissimulé, comme le fait le directeur de l’agence de communication Synthèse, solidaire de la Migros : « Ces gens vont chercher des pubs que moi-même je n’avais jamais vues pour décréter qu’une affiche est raciste » (Le Matin, 2.12.2014). Après avoir pourtant « beaucoup appris » par sa rencontre avec les jeunes, la Migros n’en tire qu’une conséquence hypothétique : « cette rencontre va influencer à l’avenir les campagnes que nous allons mener ». Mais, dans l’immédiat, il n’en est pas question ! Pourquoi changer demain ce qu’on refuse de changer aujourd’hui ? Coupable contradiction !

Le respect de la dignité humaine, inscrit dans la Constitution suisse ainsi que dans le Code de déontologie de la Migros, ne doit pas être à géométrie variable. Y’aurait-il application de la règle du Double Standard quant au respect du ressenti des victimes de racisme ? Très récemment, suite à l’indignation – relayée par des médias – d’une personne, à propos des portraits d’Hitler et Mussolini gravés sur des pots de crème à café commercialisés dans ses magasins en Suisse alémanique, Migros n’avait pas hésité une seconde. Sans attendre une lettre ouverte de militants juifs ou italiens, elle a réagi : excuses publiques, rupture avec effet immédiat de son contrat avec le fabricant (Karo-Versand AG), mise en place de mesures renforçant les contrôles internes, etc. (20 Minuten, Tribune de Genève, 22.10.2014). Bravo la Migros ! Elle pourrait faire de même pour respecter et prendre en compte la sensibilité des personnes qui se sentent ou se sentiraient blessées par sa campagne publicitaire.

Le CRAN appellera donc à des actions de boycott des magasins Migros si leurs dirigeants continuent à infliger aux communautés Noires de Suisse l’insulte du refus de stopper immédiatement leur campagne à connotation raciste ainsi que le mépris contenu dans leur refus de s’excuser. Migros n’a pas à ignorer sous aucun prétexte les revendications portant sur une campagne qui blesse la sensibilité ou choque une partie de sa clientèle et de ses coopérateurs, Noirs ou non. Ignorer leur souffrance est irresponsable de sa part. Ceci démontrerait du reste que son « Code de conduite » susmentionné servirait plutôt d’alibi et d’écran de fumée.

Le CRAN compte accessoirement engager une action en justice contre la Migros. Telle que conçue, sa campagne tombe sous le coup de la norme pénale antiraciste (art. 261 bis) qui punit en effet, notamment, « celui qui aura publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, (…), abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion (…) ».

Le CRAN encourage encore une fois les dirigeants de la Migros à faire immédiatement amende honorable et à renoncer à leur campagne. Non pour faire plaisir aux communautés africaines et à ceux qui partagent leur sensibilité, mais au moins au nom de l’impératif éthique inscrit à jamais dans ses fonds baptismaux et honorer ainsi la mémoire de ses dignes Fondateurs.

Les actions prévues seront engagées dès ce 20 décembre, si aucun retour positif ne vient de la Migros.

La Rédaction

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