[1 JOUR 1 PORTRAIT] Solitude – Héroïne de la résistance guadeloupéenne en 1802, une des figures des combats contre l’esclavage et pour l’égalité, exposée à la gare de Lyon Part-Dieu RESISTANT.ES. CONTRE L’ESCLAVAGE (FME) jusqu’au 31 octobre 2024
Figure emblématique de la rébellion de 1802 en Guadeloupe, son histoire s’est transmise à travers un témoignage oral repris par l’historien Auguste Lacour dans son Histoire de la Guadeloupe en 1858
Le 2 juin 1794, l’abolition de l’esclavage est décrétée à la Guadeloupe.Mais en 1802 le général Richepanse est envoyé par Bonaparte pour rétablir l’ordre colonial dans l’île et s’oppose aux officiers libres noirs et mulâtres, menés par le Martiniquais Louis Delgrès.
Solitude serait alors venue rejoindre les rebelles à Pointe-à-Pitre, avant d’être faite prisonnière lors de l’attaque du camp Palerme par le général Gobert, le 23 mai 1802. Arrêtée, elle est condamnée alors qu’elle est enceinte. Lacour indique qu’elle ne sera « suppliciée » que le 29 novembre 1802, le lendemain de son accouchement.
L’historien créole blanc de la Guadeloupe Auguste Lacour écrit à son sujet :
« On a vu que les femmes et les enfants arrêtés sur les habitations avaient été envoyés à Palerme. Ces prisonniers d’un genre tout nouveau étaient au nombre de quatre-vingts. Leur existence, depuis leur arrestation, avait été affreuse. Il ne se passait pas d’instant qu’ils n’entendissent débattre la question de leur vie ou de leur mort.
Le mulâtre Jean-Christophe insistait pour qu’on les fusillât, disant faussement que ce seraient de justes représailles ; que là où les blancs dominaient, c’était le sort qu’ils faisaient subir aux femmes de couleur.
Les négresses et les mulâtresses surtout se montraient acharnées contre les femmes blanches. La mulâtresse Solitude, venue de la Pointe-à-Pitre à la Basse-Terre, était alors dans le camp de Palerme. Elle laissait éclater, dans toutes les occasions, sa haine et sa fureur. Elle avait des lapins. L’un d’eux s’étant échappé, elle s’arme d’une broche, court, le perce, le lève, et le présentant aux prisonnières : « tiens, dit-elle, en mêlant à ses paroles les épithètes les plus injurieuses, voilà comme je vais vous traiter quand il en sera temps ! ».
Et cette malheureuse allait devenir mère ! Solitude n’abandonna pas les rebelles et resta près d’eux, comme leur mauvais génie, pour les exciter aux plus grands forfaits. Arrêtée enfin au milieu d’une bande d’insurgés, elle fut condamnée à mort ; mais on dut surseoir à l’exécution de la sentence. Elle fut suppliciée le 29 novembre après sa délivrance. »
On ne sait si Lacour utilise un document écrit aujourd’hui disparu (par exemple un bref rapport), ou s’il retranscrit un témoignage oral.
Depuis mai 1999, une statue lui est dédiée dans la commune des Abymes en Guadeloupe, et le 26 septembre 2020, la mairie de Paris a inauguré un jardin portant son nom dans le 17ème arrondissement, elle y sera bientôt la première femme noire à avoir une statue à Paris.
A Lyon un verger du nom de « Solitude » a été inauguré le 10 mai 2022 par la Maire du 1er arrondissement
Yasmine Bouagga (Maire du 1er arrondissement de Lyon)
Solitude_ Rosalie, de son nom de naissance, est une figure des rébellions contre le rétablissement de l’esclavage aux Antilles, par Napoléon Bonaparte. Si la réalité de son existence est attestée notamment par l’historien de la Guadeloupe Auguste Lacour, c’est de façon lapidaire, comme une prisonnière turbulente, qui, enceinte, excitait ses compagnons à la rébellion, et fut exécutée le lendemain de son accouchement.
L’histoire de Solitude nous est parvenue principalement par André Schwartz-Bart : c’est une grande puissance du récit littéraire que de redonner vie, corps, sensibilité, à des personnalités dont les traces laissées dans des archives, administratives ou policières, ne donnent qu’une existence furtive.
Solitude retrouve par la littérature une mère, des compagnons de lutte, des amours et des convictions.
Il faut se plonger dans cette fiction pour retrouver l’épaisseur de l’histoire, et considérer ce qu’est le crime de l’esclavage, et considérer l’héroïsme de celles et ceux qui se sont élevés pour défendre la liberté et la dignité.
Solitude, donc, serait une esclave née d’une mère africaine violée par un marin, d’où sa qualification de « mûlatresse ». Assignée comme domestique de maison, elle aurait fui ses maîtres lors de l’abolition de l’esclavage, en 1794, pour rejoindre une communauté marronne installée à Goyave, sur l’île de Basse-Terre en Guadeloupe. Les marrons, ce sont les esclaves qui se sont évadés des plantations pour aller se réfugier dans des zones moins accessibles, forestières ou montagneuses – qui ont pris le maquis. Solitude aurait donc rejoint ce « maquis », où se forge la résistance contre ceux qui refusent l’abolition de l’esclavage, qui voudraient le rétablir : car les producteurs de sucre et les grandes familles n’entendent pas abandonner leurs intérêts. Le lobby colonial est puissant, et dès l’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte en 1802 une armée est missionnée en Guadeloupe pour remettre aux fers les esclaves. Le 4 mai 1802, un corps expéditionnaire de 3 à 4 000 hommes débarque avec à sa tête le général Richepance. Face à eux, le colonel et intellectuel martiniquais Louis Delgrès publie une proclamation « A l’Univers entier », rappelant que « la résistance à l’oppression est un droit naturel » : il organise la rébellion armée, Solitude le rejoint. Après 18 jours de combat inégal, Louis Delgrès et ses troupes se retranchent dans la ville de Matouba : préférant la mort à l’esclavage, ils font exploser la maison où ils sont assiégés. Survivante de cette bataille, Solitude est faite prisonnière. Ses bourreaux constatent qu’elle est enceinte : ils décident de reporter son exécution au lendemain de son accouchement, afin de prendre possession de son enfant comme esclave.
Cette histoire tragique est celle d’une femme victime de barbarie et du racisme systémique de la traite négrière. C’est aussi une histoire inspirante de lutte pour la liberté et la dignité. Le visage haut de la statue de Solitude qui est érigée dans la commune des Abymes en Guadeloupe en est un signe fier.
En ce jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage, on célèbre, bien sûr, les soutiens indispensables de la lutte, tel Victor Schoelcher, artisan de la loi de 1848. Mais qu’on commémore aussi l’héroïsme de celles et ceux qui se sont battus : qu’on ne les enferme pas dans un récit de passivité, mais au contraire, qu’on reconnaisse qu’eux aussi, elles aussi, ont été des acteurs de l’histoire ; qui ont perdu des batailles, oui, mais grâce à qui nous avons gagné la lutte pour la liberté et les droits fondamentaux.
Et cet acte de nomination que nous faisons aujourd’hui a d’autant plus de sens qu’il a lieu à deux pas de la place Colbert : alors nous ne faisons pas de politique de l’effacement, mais nous regardons avec une distance critique ce que nous lègue l’histoire. Colbert fut le ministre d’Etat qui a théorisé l’administration économique du pays et donné naissance à une doctrine rationalisant l’exploitation des ressources pour la création de valeur ajoutée. Pour cela, il a développé les comptoirs coloniaux, et les plantations esclavagistes. Dans ce contexte, la contribution de Colbert à la rédaction du Code Noir est loin d’être anecdotique : elle démontre combien la naissance de l’économie moderne imbrique intimement l’exploitation de la nature, et l’exploitation des humains.
Cette réflexion n’est pas nouvelle : elle est au cœur des pensées de l’écoféminisme, et du courant plus récent de l’écologie décoloniale. Malcom Ferdinand , montre ainsi comment la critique de la destruction des écosystèmes de la planète, est intimement liée à la critique des dominations coloniales et postcoloniales et aux exigences d’égalité. Franz Fanon, à qui nous consacrons deux soirées à la mairie du 1e, portait fort cette analyse critique. Thomas Sankara également, qui dans Oser habiter l’avenir écrivait « cette lutte pour l’arbre et la forêt est surtout une lutte anti-impérialiste. Car l’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos savanes ». Wangari Maathai, biologiste kényane, a porté cette critique dans son travail réparateur de plantation d’arbres, pour lequel elle a reçu le Prix Nobel de la Paix et dont l’œuvre est poursuivie à travers la Grande Muraille Verte contre la désertification. Francia Marquez, figure du mouvement féministe et écologiste afro-colombien, déclare : « je fais partie d’un processus, d’une histoire de lutte et de résistance qui a commencé quand mes ancêtres furent emmenés en esclavage en Colombie, je fais partie d’une lutte contre le racisme structurel, d’une lutte continuelle pour la liberté et la justice, partie de ces gens qui gardent l’espoir d’un mieux vivre, partie de toutes ces femmes qui ont recours à l’amour maternel pour préserver leurs terres comme terres de vie, qui élèvent leurs voix pour arrêter la destruction des rivières, des forêts et des zones humides ».
La pensée de l’écologie décoloniale pose ainsi que « les colonisations historiques tout autant que le racisme structurel sont au centre des manières destructrices d’habiter la Terre ».
Si l’on pense souvent à la révolution industrielle, à ses machines et à ses usines comme mode de production économique destructeur, le système de la Plantation qui lui précède est lui aussi générateur d’un tel rapport au monde fait de rupture, d’extraction et d’exploitation. Défrichage des îles des Caraïbes pour y planter du tabac et de la canne à sucre ; massacre des Amérindiens ; importation d’esclaves africains comme main d’œuvre – ce sont plus de 12,5 millions d’Africains qui furent arrachés à leurs terres du Xve au XIXe siècle, ce sont des centaines de millions de personnes qui furent esclaves, maintenues pendant des siècles dans un rapport hors-sol dans les Amériques. Le monde caribéen pourrait bien être une scène de pensée de l’écologie, un « point fixe d’une accélération globale aspirant les villages africains, les sociétés amérindiennes et les voiles européennes » dans une destruction environnementale massive qui bouleversa les écosystèmes et les relations des humains à la terre. Un paysage « désindigénéisé », où la terre cesse d’être une terre mère pour être réduite à une terre ressource, dont la main d’œuvre exploitante est déracinée de sa propre terre, et dont les fruits sont destinés à l’exportation vers la métropole.
Aujourd’hui, symboliquement, cette nomination est une action réparatrice. Et si le lieu est modeste, un modeste jardin de quartier, il porte fort sa signification en étant un verger, le lieu que l’on cultive ensemble, et qui doit aussi nous réconcilier avec la nature dont nous dépendons.
Donner le nom de Solitude à ce verger, c’est sortir de la cale de la modernité, et ouvrir l’horizon politique dans un paradigme de la réparation, réparation de nos rapports humains et de nos rapports à la nature.
Après les luttes des Lumières pour la Démocratie, les luttes du 20e siècle pour l’Egalité, cette réconciliation avec la nature pourra bien être le combat émancipateur du 21e siècle.