[CHASSELAY 2016] « Plaidoyer pour les combattants africains dits « Tirailleurs sénégalais » morts pour la France » par Me Aminata Sonko

[CHASSELAY 2016] « Plaidoyer pour les combattants africains dits « Tirailleurs sénégalais » morts pour la France » par Me Aminata Sonko

Ce 11 novembre 2016, comme chaque année, un hommage a été rendu aux Tirailleurs africains venus défendre la liberté en juin 1940 et qui furent massacrés par la France. C’est à Chasselay (69) lieu de ces massacres que cet hommage leur a été rendu. Après la cérémonie au Tata, un repas a été organisé suivi de plusieurs activités. Parmi celles-ci, Me Aminata Sonko a lu ce « Plaidoyer pour les combattants africains dits « Tirailleurs sénégalais » morts pour la France » qu’elle a écrit avec Me Achiata Djiman qui n’a pu être présente, nous vous livrons l’intégralité de cette plaidoirie :

« Monsieur le Président de la commission OHADA, Représentant Madame la Bâtonnière du Barreau de Lyon, Monsieur le Président de l’Association Africa 50, Monsieur le Président de l’Association Les Amis de Présence Africaine, Monsieur le Maire de Chasselay, Mesdames, Messieurs les élus,

Chers amis,

Mesdames, Messieurs,

Il est facile d’être le défenseur de héros, d’hommes reconnus, de combattants méritants.

Toutefois, plaider pour des hommes noirs, oubliés, méconnus du grand public, de l’Histoire, ayant gardé comme simple récompense, la dignité du silence avant de disparaître les uns après les autres, est sans doute épineux.     

Que reste-t-il dans la mémoire de chacun d’entre nous, des anciens combattants appelés par déformation « Tirailleurs Sénégalais », que reste-t-il de leur exploit, de leur courage, de leur engagement pour la patrie, dans nos livres d’histoire ?

Si le premier bataillon des « Tirailleurs Sénégalais » a été formé à Saint-Louis (au Sénégal), la majorité des soldats qui ont foulé le sol français pour la première fois, en prenant des risques inouïs pour notre pays, la France,  sont  originaires de bien d’autres territoires que du seul Sénégal.

Ils venaient de tout l’Empire colonial français.

La présence de plus de quatre générations de populations d’origine africaine qui ont vécu ou vivent en France métropolitaine, n’est pas le fait du hasard. Les liens entre la France et l’Afrique sont multiples et ce, depuis des siècles.

Comment ne pas se souvenir de la participation des combattants venus d’Afrique pour défendre une des valeurs de la République : la liberté ?

Je vous rappelle de manière succincte que lors de la bataille de France en 1940, 68 500 combattants africains livrent bataille dans la Somme, les Ardennes, la Champagne, la Loire ou le Rhône.

A ce titre, la ville de Chasselay dans le Rhône, est une grande symbolique dans l’Histoire de France comme dans l’Histoire des combattants africains du 25ème régiment des « Tirailleurs Sénégalais », pourtant largement méconnue.

Chasselay, un village situé à 22 km, au nord-ouest de la ville de Lyon, où l’armée Allemande qui, après avoir encerclé les tirailleurs les exécuta, laissant la vie sauve à l’ensemble des encadrants blancs.

Ils reposent depuis 70 ans, dans le Tata de Chasselay, un cimetière solennellement inauguré le 8 novembre 1942. Le Tata abrite 188 corps dont certains sans noms, juste un numéro matricule permettant de les identifier.

Ils sont morts pour la France, ces combattants africains qui demeurent à l’abri des regards, des médias, dans ce lieu dont le calme pesant et assourdissant semblerait presque normal.

Comme le disait feu Le Président Léopold Sédar Senghor :

« On fleurit les tombes, on réchauffe le soldat Inconnu.

Vous, mes frères obscurs, personne ne vous nomme.

Dans votre solitude sans yeux sans oreilles, plus que dans ma peau sombre au fond de la Province…

Sans même la chaleur de vos camarades couchés tout contre vous, comme jadis dans la tranchée, jadis dans les palabres du village[1]… »

La compassion qu’exprime Senghor dans ce poème est également celle défendue par Jean Moulin, un des héros de la résistance.

Jean Moulin, Préfet d’Eure-et-Loire refuse, même sous la menace et les coups, d’accuser de crimes les soldats africains, défenseurs héroïques de Chartres.

Entré en clandestinité, il fera le récit des événements vécus entre le 14 et le 18 juin 1940 et relatera sa rencontre le soir du 17 juin avec un officier nazi qui lui annonce :

« Des femmes et des enfants, des Français, ont été massacrés après avoir été violés. Ce sont vos troupes noires qui ont commis ces crimes dont la France portera la honte. Comme ces faits sont prouvés de façon irréfutable, il convient qu’un document soit dressé, qui établisse les responsabilités… »

La réponse de Jean Moulin est sans ambiguïté : « ils (nos tirailleurs) sont incapables de commettre une mauvaise action contre des populations civiles et moins encore les crimes dont vous les accusez. [2]»

Jean Moulin sera torturé pendant sept heures mais ne signera pas ce protocole. Quel grand homme !

Néanmoins, l’absence d’intérêt et de reconnaissance dans notre histoire, de ce sacrifice humain, devrait interpeller chaque être doué de bon sens. Ce lourd silence sur un passé pourtant historique au regard des faits, de l’influence et de la participation de nos combattants africains à une guerre qui ne les concernaient pas directement, aurait dû marquer les esprits.

C’est pourquoi, Mesdames, Messieurs,  j’insiste et j’affirme qu’ils sont morts pour la France.

Sous le même drapeau, étaient rassemblés des combattants sans distinction de classe sociale, de religion ou de couleur de peau.

Malheureusement, dans nos manuels scolaires relatant la seconde guerre mondiale, il n’y a aucune trace, aucune référence à des « Tirailleurs Sénégalais ». Ils n’existent pas.

Ecartés des grandes commémorations nationales, invisibles, au regard de l’absence d’un quelconque monument leur rendant hommage, ne serait-ce qu’à Paris, la capitale.

Ainsi, rien ou presque rien ne témoigne de la présence déterminante de l’Afrique dans la libération de notre pays.

Personne ne peut nier encore ce triste constat, si bien que, notre ancien Président a pu dans son célèbre discours de Dakar, en pleine terre africaine et ancienne capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF) affirmer que : « l’Homme Africain n’est pas assez entré dans l’Histoire[3] ».

Or, l’Homme Africain est entré dans l’Histoire, l’Histoire de France et l’Histoire du monde, grâce à la participation des forces vives, de la jeunesse africaine à l’un des plus grands drames de l’humanité : la seconde guerre mondiale.

Nul n’aurait dû oublier que la participation des « Tirailleurs » a été déterminante dans l’issue des deux guerres mondiales. L’Afrique fut le cœur de l’armée de libération de la France. C’est en effet sur le sol africain que l’on trouve la plus grande partie de l’Armée française de libération. C’est donc en Afrique que s’est joué une part importante du destin de la France.

Nul n’aurait dû oublier les sacrifices de tout un continent pour servir les valeurs de paix et de liberté.

Si tel était le cas, ce plaidoyer à la mémoire des combattants africains oubliés, morts pour la liberté et leur patrie, la France, n’aurait pas lieu d’être.

Il y a bien eu le film « Indigènes[4] », pour rappeler la véritable place des combattants venus des colonies françaises pour libérer la mère patrie, mais depuis, l’oubli semble avoir repris toute sa place et s’être installé de nouveau.

Combien de jeunes aujourd’hui connaissent ce passage de l’histoire ? Pendant combien de temps encore allons-nous cacher notre histoire et nous réfugier derrière l’amnésie ?

L’intérêt de ce plaidoyer est :

  • de rappeler le devoir de mémoire pour les générations futures.

L’intérêt de notre plaidoyer est :

  • de rappeler qu’il y a 70 années, des milliers de valeureux Français venant d’Afrique ont donné leur vie.

Ils sont morts non pas, parce qu’ils « tiraient ailleurs », comme le prétendent certains, pour minimiser l’importance de leur combativité.

Ils sont morts parce qu’ils étaient utilisés comme « chair à canon », placés en première ligne.

Ils luttèrent héroïquement dans des conditions abominables.

Ils sont morts pour libérer la France.

L’intérêt de ce plaidoyer est :

  • de défendre les droits de l’homme, de tous les hommes et notamment, du combattant africain pour que sa participation ne reste pas méconnue.

L’intérêt de ce plaidoyer n’est pas :

  • d’obtenir une réparation financière mais une véritable reconnaissance du courage et du sacrifice de ces combattants.

Est-ce que la France a honte de son histoire ?

Ils sont déjà morts sur le champ des batailles, ne les laissons pas encore mourir sur le seuil du palais de justice ! C’est pourquoi, vous devez leur accorder cette réparation qui passe, nécessairement, par :

  • Une référence dans les livres d’Histoire à la participation de ces vaillants soldats africains évoquée de manière objective ;
  • Une reconnaissance, notamment lors des grandes commémorations nationales.

Vous, frères, nous venons plaider pour vous.

Ecoutez nous, « Tirailleurs à la peau noire, bien que sans oreilles et sans yeux », nous vous portons, vous, sans mémoire et sans reconnaissance.

« Il n’y a de véritable mort dans la mémoire des Hommes que par l’oubli ».

EN DEFINITIVE,

Aujourd’hui, indubitablement, la paix est acquise entre la France et l’Allemagne, mais, les combattants africains enterrés loin de leur terre natale, déracinés du sol de leurs ancêtres, attendent toujours cette véritable reconnaissance ; pour qu’ils se sentent à leur tour, résolument apaisés puisqu’ils ont combattu pour ces valeurs de paix et de liberté.

Et l’on ne sait que trop bien que « Pour un homme d’honneur, c’est le plus grand regret que de manquer à la reconnaissance.[5]« 

En faisant droit à nos demandes, la France ne sera qu’honorée. »

 

[1]  Léopold Sédar Senghor, ancien Président du Sénégal,  Poème, Hosties noires, 1948

[2]   Le récit a été publié en 1947 aux Éditions de Minuit sous le titre Premier Combat (disponible à la FNDIRP)

[3]  Le discours de Dakar est une allocution prononcée par le président de la République française, Nicolas Sarkozy, le 26 juillet 2007, à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (Sénégal), devant des étudiants, des enseignants et des personnalités politiques. D’une durée de 50 minutes, le discours de Nicolas Sarkozy est rédigé par son conseiller Henri Guaino. Le président français déclare notamment que la colonisation fut une faute tout en estimant que le « drame de l’Afrique » vient du fait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. […] Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès ».

[4]   INDIGENES – un film de Rachid Bouchareb – Mars Distribution, sortie le 27 septembre 2006

[5]  « Pour un homme d’honneur, c’est le plus grand regret que de manquer à la reconnaissance. »
Citation de Charles-Simon Favart ; L’Anglais à Bordeaux, 18 – 1763.

La Rédaction

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